Les éditions Minotauro de Madrid, viennent de publier, dans le cadre de leur “Bibliothèque basque”, un ouvrage dont je recommande vivement la lecture à tous les basquisants et bascophiles sachant l'espagnol, je veux parler de l'Historia de la literatura vasca de Louis Michelena, de l'Académie de la Langue Basque.
Sans doute n'est-ce pas là la première étude en la matière. Pour ne citer que des ouvrages encore accessibles, nous avions déjà la conference de l'abbé Pierre Lafitte, Le basque et la littérature d'expression basque en Labourd, Base-Navarre et Soule, éditée en 1941, et de Jon Echaide, en langue basque, Amasei Seme Euskalerri'ko, récemment publié par les Editions Itxaropena. Par ailleurs, les notices biographiques que comportent les diverses anthologies d'auteurs basques, comme l'Eskualdunen Loretegia, I (1545-1800) du même Pierre Lafitte, ou, pour la poésie, Milla Euskal Olerki Eder du Père Onaindia, sont aussi utiles pour la connaissance de notre histoire littéraire. Mais il s'agissait là d'études partielles, limitées à une région, à une époque, à un genre, alors que celle de Michelena nous présente la totalité de notre littérature depuis l'époque immédiatement antérieure à nos premiers textes imprimés du XVIème siècle, jusqu'à l 'heure actuelle.
Dans sa préface, l´auteur se défend pourtant d'être un spécialiste de l'histoire littéraire. Il est vrai qu'il est avant tout un linguiste - à qui on doit, entre autres, de remarquables études de phonologie basque- et de ce fait, le lecteur de son ouvrage, outre l'histoire de notre littérature, y trouvera également des indications suffisamment complétes sur l'histoire de la langue basque elle-même depuis les premiers documents médiévaux non littéraires, voire depuis l'époque romaine. Mais, en raison de ses recherches linguistiques, Michelena a été conduit à lire à peu près tout ce qui a été écrit en notre langue, et ainsi son étude est bien près d'être exhaustive, sauf peut-être en ce qui concerne les toutes dernières années où la production littéraire basque s'est considérablement accrue, en Europe aussi bien qu'en Amérique. Comme, d'autre part, sa spécialisation scientifique ne l'empêche pas, bien au contraire, d'être au courant des autres littératures européennes, grandes ou petites, les comparaisons qu'il ne manque pas de faire avec ces dernières ajoutent encore de l'intérêt, à son ouvrage. Car le peuple basque, malgré une opinion naïve fort répandue, n'a rien d'un peuple-île; au contraire, pour autant que son histoire nous est peu ou prou connue, i1 semble qu'il ait été de tous temps extrêmement perméable à toutes les influences venues des régions voisines, et ces influences n'ont pas manqué de se faire sentir également dans sa littérature: la poésie latine du Moyen-Âge, les chansons et sirventés des Troubadours, la Renaissance, le Classicisme, le Romanticisme, le Réalisme, les diverses écoles modernes (y compris l'existentialisme... ) ont trouvé leur échó chez nous, bien qu 'avec quelque retard.
Ainsi, la lecture du livre de Michelena constituera-t-elle peut-être une heureuse révélation pour certains Basques qui ne soupçonnaient pas l'existence d'une littérature euskarienne autre que celle, populaire, des contes et légendes folkloriques ou des chansons de bertsolaris.
Gardons-nous toutefois d'être trop optimistes à ce sujet. Michelena sait se montrer justement sévère à l'égard de bien des productions de cette littérature basque savante et nous sommes heureusement loin, avec lui, des sempiternelles louanges que décernent certains critiques (?), par pure habitude - ou hébétude -, à tout ce qui s'imprime en basque (à condition, bien entendu, que l'auteur apartienne à leur propre chapelle religieuse ou politique... ). Voici le jugement de valeur qu'il porte sur notre littérature: “la littérature populaire basque, esentiellement orale, est probablement aussi riche et variée que celle de n'importe quel autre peuple. La littérature savante est, au contraire tardive, peu abondante et, dans son ensemble, de qualité peu élevée” (p. 11).
Opinion qui n'est, hélas, que trop bien fondée et à laquelle devra se rallier tout Basque cultivé qui compare les réalisations culturelles de son peuple, je ne dis pas avec celles des grandes nations nos voisines, mais même avec celles de petits peuples placés dans des conditions semblables aux nôtres, à cause de leur faible importance numérique ou de leur dépendance politique à l'égard d'un État étranger, indifférent ou hostile; je pense à la Catalogne, à l'Occitanie, à la Finlande ou pour parler d'un domaine que je connais un peu-mieux, aux divers peuples néo-celtiques.
Pourtant à ses débuts (connus), les chances de la littérature basque étaient au moins égales à celles de telle ou telle autre littérature qui a fait son chemin depuis alors, comme nous le rappelle la lecture du livre de Michelena. Les productions épiques ou amoureuses de nos poètes du Moyen-Âge peuvent soutenir la comparaison avec ce qui se composait alors en Europe dans les memes genres littéraires; et plus tard, au moment de la Renaissance et de la Réforme à l'époque de nos premiers textes imprimés, les oeuvres vigoureuses et savantes de nos auteurs religieux tant catholiques que calvinistes comme aussi celles des écrivains profanes, pouvaient laisser espérer un bel avenir pour les lettres basques, eu égard, bien entendu, au nombre restreint des bascophones. Pourquoi les fruits n'ont-ils pas tenu la promesse des fleurs et pourquoi la littérature euskarienne est-elle devenue si médiocre, dans son ensemble, après les XVIème et XVIIème siècles? Sans doute faut-il voir dans la dégradation de notre poésie, épique et lyrique, une consequénce de l'effondrement, à la suite de l'action des Hermandades et de l'affermissement du pouvoir royal en France et en Espagne, de la societé basque aristocratique et guerrière du Moyen-Âge, avec ses clans groupés autour des Parientes Mayores: le peuple basque devenu démocratique et paysan ne sut plus apprécier désormais que les productions de bertsolaris villageois, la plupart des poètes “cultivés” essayant d'ailleurs j'usqu'à nos jours encore, d'imiter ces chanteurs populaires, sinon par la langue, du moins par les sentiments exprimés; c'est ainsi qu'un Unamuno a pu parler avec ironie de “l'honnête poésie basque”. D'autre part, l'extirpation du calvinisme, en amenant la suppression des controverses entre catholiques et tenants de RPR où chacun devait faire appel à toute son érudition et sa vigueur intellectuelle, a aussi conduit à l'affadissement de notre littérature religieuse (soit les trois-quarts au moins de notre littérature tout court) qui n'offre bientôt plus, à quelques heureuses exceptions près, que des catéchismes ou des ouvrages de dévotion et d'édification morale, les articles de foi du dogme catholique étant considerés comme des vérités allant de soi pour tous les Basques bien nés. Je précise qu'il s'agit là, non opinions explicites de Michelena, mais des miennes propres...
Il est vrai que, depuis une cinquantaine d'années, on parle d'une renaissance des lettres basques, et sans doute le grand mérite du point de vue culturel du nationalisme basque, tel qu'il fut conçu ou rêvé par ce poète qu'était Arana-Goiri, aura été de pousser maint euskaltzale à ouvrir de nouvelles voies -les Bide barrijak que chanta Lauaxeta- afin de prouver au monde que notre langue est l'égale de n'importe quelle autre. Hélas! les conceptions par trop simplistes, tant en ce qui concerne la langue que l'idéologie, de certains renascentistes basques auront conduit notre nouvelle littérature à être quelque chose d'aussi, sclérosé, d'aussi ennuyeux qu'elle l'était à l'époque où on n'écrivait en basque que des manuels de dévotion.
Espérons seulement que les efforts d'auteurs récents pour se dégager de ce nouvel académisme (auquel j'avoue d'ailleurs humblement avoir succombé moi-même parmi tant d'autres...) seront finalement couronnés de succés. Espérons-le, sans toute-fois nous faire trop d'illusions sur les chances de réussite d'une poignée de prosateurs et de poètes qui tentent de doter le peuple basque d'une littérature moderne, comparable par exemple à la littérature finnoise ou galloise tant du moins que l'ensemble de ce peuple manifestara le dédain que l'on sait à l'égard de toute culture.